« Derrière chaque décision, il y a une blouse blanche ». Celui qui n’a pas entendu cette phrase depuis deux mois vit probablement sous un rocher. Depuis le début de la crise, elle est répétée sans cesse par le gouvernement. Qu’en est-il vraiment ?

Le 11 mars 2020, le nouveau Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran a constitué un « Conseil Scientifique COVID-19 » composé de 11 personnalités scientifiques. La blouse blanche porte désormais un nom. Parmi eux, un sociologue, un mathématicien, un anthropologue, et surtout des médecins choisis parmi les spécialités médicales les plus concernées par la crise : un généraliste, un réanimateur, un épidémiologiste, un immunologiste, et plusieurs virologues et infectiologues. Toutes ces têtes bien faites doivent éclairer l’action de l’Etat pour faire face à la situation.
Mais leur nomination a également pour objectif de renforcer la confiance de nos concitoyens. Ecorné par trois ans de pouvoir, la crise des gilets jaunes, et la douloureuse réforme inachevée des retraites, le couple exécutif est entré en guerre contre le coronavirus avec une popularité fragilisée. Dans une ambiance nationale électrique, l’armée de soignants qu’il faut envoyer au front est elle-même confrontée à une crise existentielle en pleine éruption. Il était donc impératif pour le chef de l’Etat et son gouvernement de rétablir la confiance du pays, indispensable à toute guerre, fut-elle sanitaire.
Dans ce paysage, le « Conseil Scientifique COVID-19 », constitue un soutien psychologique autant que scientifique. Cette stratégie de l’exécutif pour rétablir la confiance est nécessaire et légitime pour mettre le pays en ordre de bataille dans la lutte contre l’épidémie. Des décisions parfois difficiles et susceptibles de limiter les libertés individuelles doivent impérativement être prises ; pour être efficaces, elles doivent-être acceptées par tous, ce qui en démocratie suppose l’adhésion et la confiance de la nation. Les circonstances dans lesquelles les Français – réputés Gaulois réfractaires – sont entrés dans le confinement avec calme et sérénité révèle le succès de l’exercice, confirmé par les dernières enquêtes d’opinion.
L’indépendance, légitimité absolue ?
Pour autant, le Conseil Scientifique doit rester ce qu’il est, c’est-à-dire une aide à la décision pour des choix politiques qui doivent, en démocratie, rester entre les mains du pouvoir élu. Or, loin de se cantonner aux seules questions scientifiques, le Conseil tient compte dans ces avis d’autres considérations, éminemment politiques. Ainsi, dans son 1 er avis du 12 mars, il stipule qu’il s’appuiera sur des principes généraux, et cite comme premier d’entre eux « la continuité de la vie de la nation sur le plan économique et social ». Deux jours plus tard, la veille du premier tour des municipales, le Conseil se prononce cette fois sur la tenue de l’élection. En coulisse, les rumeurs de reports font monter au créneau les oppositions qui pensent y voir un moyen pour l’exécutif de s’éviter une déroute. L’avis du Conseil tombe le 14 mars, alors que la fermeture des écoles et universités vient d’être annoncées : « [Le Conseil] a considéré que l'exercice de la démocratie, garanti par la sécurité sanitaire du vote, gagnait à être préservé ». Il justifie sa position en précisant « qu’il était important pour la crédibilité des mesures proposées qu’elles apparaissent dénuées de calcul politique ». Un tel mélange des genres questionne sur la légitimité du Conseil, et constitue un premier écueil vis à vis de sa mission initiale. Il est donc impératif qu’il recentre ses avis sur les seuls aspects scientifiques, et laisse à l’exécutif le soin des arbitrages.
Plus encore, l’indépendance du Conseil ne doit pas être portée en étendard comme un gage d’infaillibilité. C’est malheureusement parfois ce que l’on lit entre les lignes à l’annonce de certaines décisions : « Toutes les mesures qui sont prises sont validées par le Conseil Scientifique ; Si le Conseil Scientifique le dit, c’est bien que c’est ce qu’il faut faire ». Une telle sacralisation des avis rendus par Conseil, et ce d’autant plus que ces avis sont systématiquement rendus publics, risque d’affaiblir la parole politique. En effet, si ce Conseil indépendant donne publiquement un avis considéré comme incontestable, quelle marge de manœuvre reste-t-il à l’exécutif ? Cette question centrale ne doit pas être éludée et mérite de repenser, ou à tout le moins clarifier, l’articulation entre le gouvernement et le Conseil Scientifique. Il est impératif que ses propositions ne soient pas perçues comme des ordres ou des sommations, au risque de reléguer, dans l’imaginaire collectif, le pouvoir exécutif au rang de simple exécutant. Ces contradictions, si elles ne sont pas vites levées, risquent de nuire à la confiance que le gouvernement cherche pourtant à restaurer. La communication est essentielle et la confusion ne doit pas être entretenue : le Conseil Scientifique donne des avis, et l’autorité politique arbitre et décide.
Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien
Au-delà de ces critiques sur le champ de compétence du Conseil Scientifique et sur la répartition des rôles avec l’exécutif, on peut bien sûr se réjouir que le pouvoir souhaite appuyer ses décisions sur le savoir scientifique et l’expertise. Mais dans le cas d’un virus sur lequel nous sommes encore bien ignorants, nos maigres connaissances doivent nous rendre humbles face à une montagne d’incertitudes. Il est au demeurant paradoxal que l’on s’en remette aujourd’hui autant aux scientifiques, qui en savent encore si peu sur cette maladie émergente, alors que leur parole est totalement étouffée par celles des lobbys, activistes et charlatans de tous poils sur d’autres sujets sur lesquels il existe un consensus scientifique solide (changement climatique, ondes électromagnétiques, homéopathie, OGM, etc.).
Sur le coronavirus, le consensus scientifique peine pour l’instant émerger tant l’incertitude demeure. Bien sûr, certains aspects comme l’efficacité du lavage des mains ou de la distanciation sociale pour prévenir la transmission sont admis par tous. Mais de nombreuses questions (étendue nécessaire du confinement, stratégie de dépistage, traitements spécifiques, etc.) restent encore sans réponse. Bien que les connaissances scientifiques progressent vite, le virus se répand plus vite encore, et contraint les autorités à prendre des décisions dans un brouillard d’informations et de commentaires. Les prises de positions du Pr. Raoult à l’IHU de Marseille, qui vient de se retirer du Conseil Scientifique, sont un exemple manifeste de l’absence de consensus sur ces questions. Sans rentrer dans le détail des nombreuses faiblesses méthodologiques de l’étude réalisée, et au-delà des modalités contestables de sa publication, il est constant que c’est au seul pouvoir politique in fine de trancher entre plusieurs avis contradictoires, et parfois même violemment opposés. Ainsi, plutôt que de rendre des conclusions et des propositions toutes faites, simulant un consensus que l’on sait impossible en l’espèce, le Conseil serait bien inspiré de fournir au gouvernement des clés de compréhension des questions qui lui sont soumises, c’est à dire un avis argumenté présentant les différentes alternatives ainsi que les bénéfices et les risques qui s’y rapportent, afin qu’il puisse s’orienter en connaissance de causes.
Autrement dit, l’exécutif n’a nul besoin d’un GPS pour décider à sa place du meilleur chemin prendre, mais bien de phares pour y voir plus clair dans l’obscurité ambiante.
Mise à jour :
Avant même que l’auteur de ces lignes ait pu les publier, il se voit conforter dans son analyse par l’annonce cette semaine du chef de l’Etat de la création d’une nouvelle instance (sans supprimer la précédente, conformément à la tradition française). Le tout nouveau Comité Analyse Recherche et Expertise (CARE) est composé de 12 chercheurs et médecins qui auront pour mission de conseiller l'exécutif sur la gestion de l'épidémie de coronavirus et les essais en cours. CQFD.
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