Article original publié dans "Les échos" le 2 avr. 2020 à 8:49 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-psychiatrie-victime-collaterale-du-covid-19-1191330
Dans les établissements en santé mentale, la prise en charge des malades psychiatriques atteints par le coronavirus n'est pas optimale et leurs transferts dans les hôpitaux classiques à même de les soigner, guère possible. Ce que l'on observe dans les Ephad, où les décès se multiplient ces derniers jours, risque ainsi de se reproduire dans ces établissements, prévient le docteur Nicolas Meton.
Il faut remonter à la grippe espagnole de 1918 pour retrouver une situation de crise sanitaire comparable à celle que vit actuellement notre pays. La souche H1N1, qui sévissait entre 1917 et 1918, était une variante proche de celle qu'on a connue en 2009. Il y a dix ans, l'humanité échappait donc de justesse à un nouveau désastre. Cette fois-ci, nous ne sommes manifestement plus sous les mêmes auspices.
Psychiatrie, le parent pauvre de la médecine
Cela fait un mois et demi que notre système de santé se prépare à affronter ce cygne noir qui met actuellement en déroute nos confrères italiens. Un mois et demi que nous réduisons notre activité programmée et que nous renforçons nos équipes. Malgré cela, les réanimations sont déjà saturées dans plusieurs régions de France. Toute la presse s'en fait l'écho mais ce qu'elle ne rapporte pas, c'est la situation des lits de médecine et de psychiatrie dans ces mêmes territoires. Si les mesures prises jusqu'à présent fonctionnent, alors nos hôpitaux généraux passeront la vague sans trop de dommages.
Il est cependant un domaine en santé qui semble oublié et pour lequel cette crise sera certainement ravageuse. La psychiatrie est le parent pauvre de la médecine alors même qu'elle devrait être au coeur de nos préoccupations en termes de santé publique. Les maladies mentales touchent plus d'une personne sur cinq annuellement en France, contre une sur dix pour le cancer à titre comparatif. Selon OCDE, le coût engendré par les troubles mentaux en Europe représentait en 2018 plus de 4 % du PIB de l'UE. Même sur le plan médico-économique, la France est dans le peloton de tête en termes de consommation de médicaments psychotropes et pourtant les moyens alloués à la psychiatrie sont bien insuffisants.
Indifférence médiatique
C'est dans ce paysage dégradé qu'a surgi l'épidémie de Covid-19. Les Etablissements en santé mentale (EPSM) s'organisent afin de limiter au maximum le risque de transmission sur une population particulièrement vulnérable. Des services sont vidés afin d'y accueillir des patients infectés et pour lesquels des soins somatiques sont apportés. Cependant, le plateau technique d'un hôpital psychiatrique est bien modique au regard des besoins de ces patients. Se retrouvent alors dans ces « structures Covid » des individus doublement atteints par le virus et par leurs troubles mentaux, sans soins somatiques adaptés. L'espoir d'un transfert en soins intensifs ou en réanimation d'un hôpital général est bien mince pour ces personnes en cas de dégradation de leur état. Il pourra même ne pas arriver et le risque est alors que ces patients décèdent dans l'indifférence médiatique. On commence à le voir dans les Ephad, et c'est ce à quoi nous risquons de faire face en EPSM.
Il ne s'agit, en outre, que de la première vague de cette crise sanitaire qui frappe le secteur psychiatrique. La seconde, ce sont les conséquences du confinement car il n'est pas sans effet et qui s'accompagnera indéniablement de son lot de troubles psychiatriques post-quarantaine qui viendront toquer aux portes de la psychiatrie dans les prochains mois. Il faudra que notre personnel soignant affronte cette nouvelle déferlante, moins visible, mais au moins aussi ravageuse. Enfin, les personnels exerçant dans ces structures seront également touchés par ces mêmes affections. Seulement, ils auront vécu avant cela les horreurs du front sanitaire et de ces morts évitables faute de moyens et de reconnaissance. Nous pouvons d'ores et déjà nous attendre, dans les mois qui viennent, à une explosion de burn-out et de stress aigus. Les services de psychiatrie ne s'en retrouveront que plus sinistrés encore et incapables de répondre à cette demande de soins supplémentaires, émanant pour partie de leurs propres rangs. Il est donc urgent de prendre vite la mesure des conséquences indirectes, mais toutes aussi ravageuses, de cette inédite crise sanitaire.
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